La carrière de Ryan Coogler a toujours flirté avec le cinéma de prestige. Des films comme Fruitvale Station, Creed ou encore Black Panther n’étaient pas exactement des aspirants classiques aux Oscars, mais ils portaient en eux suffisamment de fond et d’actualité pour faire réfléchir les critiques les plus chevronnés.
Avec Sinners, son dernier long-métrage, Coogler prend une direction radicalement différente — et ce, à toute allure. Mieux encore, le film prend un malin plaisir à dérouter le spectateur, à tel point que l’on se demande un bon moment quel genre de film on regarde réellement, avant que l’intrigue ne prenne feu avec un clin d’œil complice. Au départ, Sinners ressemble à un drame historique soigné, tourné en IMAX, et situé dans le Sud profond des États-Unis à l’époque de la Prohibition, où des nuages ouatés flottent au-dessus d’interminables champs de coton.
C’est dans ce coin de campagne apparemment ordinaire, au cœur du Mississippi rural, que l’on découvre deux frères jumeaux mafieux, tous deux incarnés par Michael B. Jordan, fidèle acteur de Coogler. Baptisés Smoke et Stack, ces deux personnages au charme irrésistible tentent de monter un nouveau business, en s’appuyant sur leurs anciennes connexions dans la contrebande d’alcool acquises à Chicago. Leur projet ? Transformer une grange abandonnée en club musical clandestin — un juke joint — non loin de la ville natale de leur cousin Sammie (incarné par le nouveau venu Miles Caton). Ce dernier, jeune guitariste prodige de blues aux yeux brillants, est le choix idéal pour assurer la tête d’affiche de la soirée d’inauguration.
Mais tout n’est pas si simple : le père de Sammie, un pasteur conservateur, voit d’un très mauvais œil la musique profane. Pour lui, c’est ainsi que le diable s’introduit dans les âmes. Un clin d’œil évident au mythe de Robert Johnson, qui ne manquera pas de réjouir les amateurs de blues et de légendes musicales.
Pendant un temps, le film s’attarde sur la mise en place de ce projet musical illicite. Les frères peuvent compter sur l’aide d’une ex-compagne au caractère bien trempé (Hailee Steinfeld), de Grace (Li Jun Li), la commerçante du coin, ainsi que d’un notable local aux tempes grisonnantes joué par Delroy Lindo. Le film est peuplé de personnages secondaires hauts en couleur, dépeints avec une précision vivante et un vrai sens du détail.
Plutôt que de céder à de longs monologues ou à des moments de confession émotionnelle, Coogler préfère remplir chaque plan de performances d’acteurs d’un vrai éclat cinématographique. Charismatiques, drôles, sensuelles : les interprétations brillent par leur intensité et leur finesse, à tous les niveaux du casting.
Avec Sinners, Coogler signe une œuvre audacieuse, singulière et profondément cinématographique, dans laquelle Michael B. Jordan livre une performance doublement impressionnante. Un film qui bouscule les genres, tout en rendant hommage à l’héritage culturel du Sud américain.